BEAU IS AFRAID
Du 26/04/2023 au 06/06/2023
Avec Beau is afraid, Ari Aster revient en arrière pour terminer un projet inachevé, qui devait être son premier long-métrage, ajourné pour différentes raisons. Il y développe l’idée de l’adulte qui n’a jamais vécu normalement parce qu’il n’a jamais réussi à s’affranchir de l’influence de sa mère. Pour la raconter, Aster délaisse l’horreur d’Hérédité et de Midsommar au profit d’un absurde kafkaïen mâtiné de comédie noire qui suggère une parenté avec Woody Allen, les frères Coen, Charlie Kaufman ou Darren Aronofsky, mais avec un ton et un style bien à lui. Sous l’apparence d’une parodie de psychanalyse, il a imaginé une odyssée introspective divisée en quatre chapitres, chacun révélant un peu plus les véritables raisons de l’évolution entravée de Beau. On ne sait pas si l’environnement monstrueux dans lequel évolue le personnage est un reflet de la réalité ou de son imagination. L’endroit ressemble à l’idée qu’on pouvait se faire des pires quartiers de New York à la fin des années 70 : tout est délabré, tandis que le comportement des habitants varie entre l’hostilité et la psychose agressive. Le premier chapitre décrit ce milieu, tout en détaillant les efforts avortés de Beau pour aller rendre visite à sa mère, jusqu’au moment où la série noire atteint un sommet délirant. Beau se réveille fracassé au deuxième chapitre, recueilli par un couple qui prend soin de lui comme de leur propre fils, le vrai étant mort à la guerre. Mais il est de plus en plus pressé de rejoindre le domicile maternel, ayant appris que sa mère avait été victime d’un accident funeste.
Chaque chapitre a une ambiance particulière qu’Aster illustre en conséquence, avec une inventivité foisonnante, remplissant l’image de détails signifiants. Il se confirme aussi en narrateur magistral, qui arrive à remplir l’intrigue sans nécessairement avoir besoin d’être explicite. Par exemple, la mère de Beau n’apparaît à l’écran qu’à la fin du parcours et pendant une durée limitée, ce qui n’empêche pas sa présence de se faire sentir en permanence. Elle convoque toutes les hypothèses de cette relation œdipienne : castratrice, possessive, étouffante, manipulatrice... Elle est au centre des questions qui se posent à Beau et qui trouvent des fragments de réponses au fil de son itinéraire.
Dans le troisième chapitre, le plus surréaliste, Beau trouve refuge auprès d’une troupe de comédiens qui opèrent dans la forêt. Au cours d’une représentation, il s’identifie tellement à ce qui est représenté sur scène qu’il se projette dedans, totalement : la caméra traverse le quatrième mur, monte sur scène et adopte le point de vue de l’acteur. À ce moment, Beau voit sa vie défiler, pas seulement celle qu’il a vécue, mais aussi celle qu’il aurait dû vivre s’il avait été libre, et jusqu’à celle qui pourrait aussi advenir. L’espace et le temps sont alors abolis à l’occasion d’un moment stupéfiant qui superpose toutes les possibilités dans une sorte d’« ici et maintenant » suspendu. C’est un des sommets du film qui utilise toutes sortes d’artifices, y compris l’animation.
Dans le dernier chapitre qui laisse enfin l’actrice Patti Lupone libérer tout le potentiel effrayant de la mère, Aster n’en finit pas de sidérer par l’inventivité et l’élégance de sa mise en scène. Il a une façon magistrale d’utiliser l’espace de la maison – qui rappelle ce qu’il avait expérimenté avec les maquettes dans Hérédité – mais poussé à un degré de sophistication tel qu’on se demande comment il a fait. Comme pour beaucoup d’éléments de ce film prodigieux, Beau is afraid demande à être revu plusieurs fois avant de révéler toutes ses richesses.
(D'après Gérard Delorme • chaosreign.fr)