JEANNE DIELMAN, 23, QUAI DU COMMERCE, 1080 BRUXELLES
Du 19/04/2023 au 09/05/2023
Se lever, se laver, cirer les chaussures, préparer le petit-déjeuner, faire la vaisselle, nettoyer la baignoire, se coiffer, faire les courses chez le boucher, s’accorder un verre au café à côté, éplucher des pommes de terre, préparer la farce, prendre un café, garder le bébé de la voisine, se prostituer à l'occasion, préparer le dîner, tricoter, aller marcher en ville avec son fils... Voici, en partie, le quotidien de Jeanne Dielman. Mère célibataire et femme au foyer, tout ce qu'elle fait n'est que soins et dévouement. Aucun moment n'est improvisé, son emploi du temps est parfaitement rempli, réglé comme du papier à musique. C'est le secret d'une vie à la tranquillité aussi certaine qu'un mirage.
Reléguée à des figures de troisième plan sans importance, la femme au foyer existe peu au cinéma. En 1975, retournement de situation : un tel personnage devient protagoniste d'un long-métrage, dans un film quasi-exclusivement constitué de non-événements habituellement jugés inutiles, de scènes classiquement bannies, au pire rayées du scénario, au mieux coupées au montage. Dans un cadre strictement fixe, les tâches quotidiennes sont filmées en temps réel. En apparence, tout va bien. Il suffit pourtant d'un peu trop de café pour faire ressortir l'angoisse vertigineuse de cette vie aliénante. Sans psychologie, le film est un bloc métaphysique parfaitement taillé. Après des années de recherches formelles et esthétiques, Chantal Akerman signe un aboutissement total. Dévorée par le rôle, Delphine Seyrig est difficilement reconnaissable. Ces dernières décennies l'ont prouvé : plus qu’un personnage, Jeanne Dielman est un spectre qui hante quiconque la rencontre : la psychose existentielle qu'elle incarne est ancrée à jamais dans nos psychés collectives.