Jour de fête
Du 15/06/2015 au 15/06/2015
Il y a des bonheurs de cinéma que l'on n'a pas le droit de garder pour soi, c'est comme ça. Il y a de ces films, pas si nombreux, qui, à condition qu'on les découvre au cinéma, dans le noir, sur grand écran, entouré de la foule frémissante, vous prennent fermement par la main et ne vous oublient plus jamais. Et c'est sans doute au nom de cette simple évidence que, périodiquement, dans une version ou une autre, une qu'on croyait perdue, une qu'on a nettoyée, une qui a l'imprimatur de tel ou tel indépassable spécialiste, une qui-serait-la-vraie-seule-vraie, inlassablement, Jour de fête revient sur les écrans. L'occasion, cette fois-ci, c'est donc la restauration, le nettoyage, le peaufinage de cette version originelle ou originale, comme on voudra, dans son splendide noir et blanc - et qui pour être numériques, n'en ont pas moins demandé de minutieuses attentions de la part de tous ces gens qui savent redonner amoureusement vie aux merveilles un tantinet fanées. L'occasion, c'est que les cinéma restent généralement ouverts l'été ; l'occasion, c'est que la grande méchante crise ne nous privera pas d'une petite douceur ; l'occasion c'est… mais au fait, a-t-on tellement besoin de justification ?
Retrouvailles, découverte, partage, donc, c'est selon. Mais à l'arrivée, immanquablement, pour tous, un pur instant de bonheur. Parents, faites partager à vos enfants ce bonheur-là. Enfants, rouvrez les yeux de vos parents sur ce trésor-là. Tati devrait être remboursé par la Sécurité Sociale. Tati, c’est ce que le cinéma comique français nous a offert de plus beau…
Tout est calme dans ce petit village niché dans la campagne lorsqu’arrivent les roulottes des forains. La grand’place se pare de guirlandes et de drapeaux, la terrasse du café s’apprête à accueillir le bal populaire tandis que sèche le vernis des chaises. Le coiffeur et la couturière s’activent comme jamais, chacun veut être sur son 31. Les chevaux de bois, la loterie, le cinéma ambulant, le stand de tir et le jeu de massacre prennent leurs aises, sous l’œil allumé des mômes.
Désireux d’aider ces visiteurs d’un jour François le facteur se bombarde chef monteur du mas de cocagne et provoque des catastrophes en chaîne… Entre Jeannette la paysanne et Roger le forain s’ébauche une idylle sans lendemain…
Le comique de Tati, profondément original, défie le temps : à partir de notations familières, d’un sens de l’observation d’une justesse confondante, il construit des gags désopilants, mis en place au millimètre. Toute la séquence de la distribution du courrier « à l’américaine », que le facteur à bicyclette entreprend après avoir aperçu quelques images d’un documentaire sur les postes étasuniennes, est irrésistible de drôlerie, on s’en tient les côtes… Et c’est un rire franc et généreux, sans une once de mépris, tout de tendresse et de poésie.
François le facteur, c’est bien sûr Tati lui-même, acteur formidable, personnage inoubliable. Silhouette invraisemblable, dégingandée et élastique, qui est à elle seule une création géniale, comme le furent celles imaginées par Chaplin ou Keaton.