PATERSON
Du 21/12/2016 au 24/03/2017
UNE SÉANCE PAR SEMAINE, LE VENDREDI APRÈS-MIDI
SÉLECTION OFFICIELLE, EN COMPÉTITION
FESTIVAL DE CANNES 2016
Le titre du nouveau film de Jim Jarmusch réclame quelques éclaircissements : c’est d’abord le patronyme du personnage principal, joué par Adam Driver, c’est ensuite le nom de la ville du New Jersey, à une trentaine de kilomètres à l’ouest de New York, où celui-ci est né et exerce la fonction de chauffeur de bus. Enfin, Paterson est le titre du plus célèbre recueil du poète américain William Carlos Williams, hymne à la ville où, lui aussi, il naquit et vécut.
Dans Paterson (le film), Paterson (le personnage) adore Paterson (le livre). Car notre fonctionnaire de la RATP locale écrit aussi des poèmes, sur un carnet qui ne le quitte pas : des textes courts, une drôle de prose poétique, d’autant plus poétique qu’elle est prosaïque, concrète, étonnamment simple. Parmi les sujets de ses poèmes, l’amour qu’il porte à Laura, sa compagne, qui l’aime autant en retour : un couple de fable, à la vie incroyablement harmonieuse et ritualisée. Tous les matins, Paterson se réveille à la même heure ultra-matinale, précédant sans peine son réveil. Tout le jour, pendant qu’il transporte les « patersoniens », écoutant, derrière son volant, telle ou telle conversation qui peut-être l’inspirera, Laura (interprétée avec charme et humour par Golshifteh Farahani) redécore leur maison, avec un goût quelque peu obsessionnel pour le noir et blanc. Ou bien elle s’invente un avenir très hypothétique de chanteuse country grâce à la guitare qu’elle s’est achetée par correspondance... Avec eux, il y a Marvin, le bouledogue qui geint ou grogne, et que chaque soir, pendant la promenade vespérale, Paterson attache, comme un cow-boy attacherait son cheval, devant le bar où il a ses habitudes...
Jim Jarmusch rend l’humble quotidien de ce couple infiniment plus séduisant que d’autres vies que la leur, qui seraient trépidantes et mouvementées. Sans jamais se départir d’une agréable cocasserie, le film exalte l’harmonie domestique, la sécurité rassurante des rituels. Il fait la somme des micro-bonheurs qu’apportent, érigés en habitudes, l’amour, l’amitié, le travail, la vie en communauté. Et l’écriture ! Cette oasis de bonheur modeste serre le cœur, en empathie totale avec la voix grave du héros, la dinguerie joyeuse de l’héroïne, les mimiques de Marvin. Soyons honnêtes, il y aura tout de même une péripétie. Un micro-accident dont on ne dira ni la nature ni la cause et qui prend des airs de cataclysme…
Jim Jarmusch a clairement composé un poème, un film-haïku, d’une simplicité et d’une puissance remarquables, exaltation bouleversante du quotidien par la poésie. Rares sont les films dont on sort en désirant illico courir au rayon poésie de la librairie la plus proche, en revenir les bras chargés d’ouvrages, ayant pris la ferme décision d’en lire une page par jour. Par exemple dans le bus que nous, on ne conduit pas...
(d’après Aurélien Ferenczi • Télérama)