SÉJOUR DANS LES MONTS FUCHUN
Du 01/01/2020 au 28/01/2020
FILM DE CLÔTURE, SEMAINE DE LA CRITIQUE • FESTIVAL DE CANNES 2019
« Durant l’été 2016, je suis retourné dans ma ville natale faire des recherches pour nourrir mon écriture. Dans mon souvenir, Fuyang était une petite ville tranquille et peu inspirante. Mais plus j’y séjournais, plus j’étais surpris par les transformations constantes qui s’y produisaient. Cet endroit humble est submergé par des bouleversements sociaux et économiques. En effet, la ville vient d’être intégrée à la municipalité de la ville de Hangzhou où s’est tenu le sommet du G20 en 2016. J’ai compris que j’avais de la chance d’assister à cette transformation immense et émouvante de la ville. Portée par ces courants, ces vagues de changement, chaque personne, chaque famille est profondément reliée avec son environnement qui affecte inévitablement le monde intérieur de chacun. C’est leur quotidien que le film révèle peu à peu, comme on déroulerait une peinture contemporaine, que j’intitulerais Séjour dans les Monts Fuchun. » Gu Xiaogang
Le jour de ses 70 ans, la doyenne de la famille Gu fait un malaise cardiaque. À son réveil à l'hôpital, les médecins lui diagnostiquent une démence. Un de ses quatre enfants va devoir la prendre en charge dans son propre foyer. Alors que la fratrie est déjà confrontée à des changements cruciaux dans ses relations, chacun doit aussi faire face aux problèmes de sa propre famille. Leurs destins, bien que liés par l’amour, se heurtent alors à des défis et des dilemmes. L'histoire, à la manière d'une peinture traditionnelle chinoise, se déroule au fil des quatre saisons.
Ce court résumé manque cruellement d'exhaustivité tant Séjour dans les Monts Fuchun est une fresque cinématographique impressionnante. La richesse du film se niche dans les détails révélés subitement au détour d'un plan, et dont on capte la puissance émotionnelle un peu plus tard, comme autant de petites bombes à retardement. La durée et le passage des saisons constituent un élément de narration très important, mais le film développe aussi une esthétique naturaliste s'appuyant sur de longs plans-séquences qui permettent de confronter une fluidité intemporelle et stable à des dialogues quotidiens, qui se déploient jusqu'à accéder à une grande profondeur.
Séjour dans les Monts Fuchun aborde une problématique récurrente dans le cinéma chinois de ces dernières années : le conflit prégnant entre tradition et modernité. Comment s'affirmer en tant qu'individu face à la communauté ? Comment allier l'ouverture de la Chine au système capitaliste et à la société de consommation, aux valeurs et aux devoirs communistes ancrés depuis des générations ? Les personnages sont ainsi pris en étau entre des injonctions contradictoires, tout en ressentant très fort l'urgence de profiter maintenant d'une situation mouvante porteuse d'opportunités. Car au rythme lent et mesuré du temps et du passage des saisons s'oppose le rythme effréné des projets de développement urbains et une accélération globale de l'activité économique vers un désir de croissance infinie. C'est probablement pour cette raison que l'argent est si présent dans les rapports entre les gens, avec son lot de promesses et de dérives viciées.
Pour son premier film, Gu Xiaogang s'est attaqué à un projet très ambitieux. Il y aurait encore beaucoup à dire, notamment sur les liens entre les différentes générations, le rapport au mariage d'amour ou de raison, les situations intimes de certains personnages qui apparaissent en creux, comme celle d'un des frères élevant seul son enfant trisomique... Séjour dans les Monts Fuchun est annoncé comme le premier volet d'un triptyque, pourtant il se suffit amplement à lui-même. Le cinéma est en tous cas un langage que Gu Xiaogang maîtrise à la perfection. Un auteur est né.